Le gouvernement libéral a respecté sa promesse de campagne de retirer les avions de combats canadiens CF-18 de l’Irak et de la Syrie. Du même souffle, le premier ministre Trudeau a annoncé que nous y laisserions des avions de reconnaissance et des avions-citernes capables de ravitailler en vol les avions de chasse d’autres nations. Selon cette annonce, les initiatives du Canada se chiffreraient à plus de 1,6 G$ au cours des trois prochaines années, aux fins d’aide humanitaire, tout en augmentant le nombre de troupes canadiennes dans la région. Ainsi, le nouvel objectif, qui triplera le personnel des forces armées à plus de 800 personnes, devrait servir à entraîner des forces kurdes. Le Canada fournira également des armes aux forces kurdes des Peshmergas. Flanqué de ses ministres du Développement international, des Affaires étrangères et de la Défense (Marie-Claude Bibeau, Stéphane Dion et Harjit Sajjan), M. Trudeau a souligné que le Canada souhaitait contrebalancer notre rôle militaire par des initiatives plus substantielles en matière de diplomatie et de développement.
Alors, quelles réflexions cela nous inspire-t-il ?
Mon point de départ est que, lorsqu’on s’engage dans des guerres étrangères, comme dans l’aide médicale, le mot d’ordre devrait toujours être « d’abord, ne pas nuire » ». Le gâchis inextricable auquel nous faisons face aujourd’hui est en réalité entièrement le fait des nations occidentales, en premier lieu des États-Unis, qui pataugent dans la région avec des résultats calamiteux. Parmi les nombreux désastres infligés au peuple iraquien d’abord, mais aussi au reste du monde, on note la montée de l’intégrisme religieux. Saddam Hussein, tout en étant un dictateur brutal, était un dictateur laïc. Son cabinet comprenait des femmes et n’avait pas de doctrine islamiste. Sa direction sunnite et son parti Baas maintenaient un calme relatif dans le conflit larvé entre les sunnites et chiites. Mais après l’invasion américaine, la campagne « Choc et effroi » et les gouvernements marionnettes que les États-Unis ont mis en place, les Baassistes ont été interdits d'emploi au gouvernement, d’appartenance à l’armée. Les États-Unis ont créé un vaste réseau de personnes compétentes, mais inemployables. Ils savaient comment diriger une armée, se battre dans une guerre, diriger un gouvernement. Évincés de tout poste dans un gouvernement futur, des Baassistes, autrefois laïcs, ont été recrutés par Daech (EIIL). Certains Baassistes se sont radicalisés. L’Irak est devenu l’incubateur d’un groupe aux ambitions dangereuses.
Les actions du Canada en Lybie ont contribué à affaiblir un autre État. Et nous, sachant que les forces d’Al-Qaïda infiltraient les groupes rebelles, nous les avons quand même reconnues comme le gouvernement légitime de la Lybie. Et nous avons continué à les épauler alors que même que les armes des arsenaux du colonel Kadhafi étaient expédiées aux terroristes.
La Syrie est un gigantesque bourbier de forces concurrentes hostiles. Le gouvernement (si on peut encore l’appeler ainsi) est dirigé par Bachar el-Assad, un dictateur brutal. Assad est soutenu par l’Iran et le Hezbollah, tandis qu’Al-Qaïda, al-Nusra et Daech veulent se débarrasser d’Assad. On rapporte que l’Arabie Saoudite appuie Daech. La Russie appuie Assad et s’en autorise pour effectuer des bombardements, légitimés par les propres campagnes de bombardement des États-Unis et de ses alliés, pour frapper durement les ennemis d’Assad, qu’ils soient de Daech ou pas.
Pourquoi le Canada entraîne-t-il des Kurdes ? Parce que dans une vaste gamme de choix peu alléchants, des légions de tueurs que personne ne peut appuyer, et non de braves garçons, au moins les Kurdes ont-ils un programme clair. Ils sont motivés par un intense désir d’avoir leur propre pays. Bien qu’il semble opportun d’entraîner et d’armer des Kurdes pour stopper l’avance de Daech en Syrie, il n'est pas question que les répercussions à long terme s’étendent au-delà de la Syrie, pour ravitailler les rêves kurdes d’une patrie en Irak et en Turquie. Et nos alliés n’en seraient pas ravis par ailleurs. Et les Kurdes en gagnant du terrain face à Daech pourraient ne pas respecter nos normes en matière de droits de la personne.
Aussi longtemps que la mission n’est décrite que dans les termes « se débarrasser de Daech », nous poursuivons la mauvaise mission. Si nous voulons la relancer au titre de « faire progresser la paix et la stabilité dans la région », nous pourrons garder l’espoir. Pour ce faire, nous devrions presser l’Irak de lever le bannissement sur l’embauche d’anciens membres du parti Baas. Pour apporter la paix dans la région, nous avons besoin d’un effort coordonné engageant tous nos alliés, dont les Russes et les Chinois.
Pour ce faire, j’aimerais que le nouveau gouvernement songe à renforcer nos rôles humanitaire et diplomatique. Nous pourrons faire plus pour arrêter le flux d’armes et d’argent qui coule vers Daech grâce à son activité sur le marché noir. Nous pourrions inviter les principaux gouvernements qui ont un rôle à y jouer à une conférence, tenue au Canada, avec l’objectif de découvrir et de pénétrer le réseau financier de Daech. Cela, nous pouvons le faire.
Nous pourrions réintégrer le cercle des Nations Unies. Nous pourrions établir la bonne sorte de coalition. Nous devrions exiger la fin des frappes aériennes. Nous risquons d’antagoniser nos alliés qui préfèrent les missions de bombardement, mais qui vont inévitablement tuer plus d’innocents. J’en suis convaincue, ce que les critiques appellent l’incohérence de la nouvelle politique de M. Trudeau provient du désir d’abandonner les frappes aériennes, tout en appuyant nos alliés, comme les États-Unis, qui continueront à le bombarder. Les bombardements n’arrêteront pas Daech. Et ils n’apporteront pas la paix et la stabilité dans la région.
Seuls des cessez-le-feu et des négociations y parviendront.