Elizabeth May : Le plan de lutte contre les changements climatiques des Libéraux? Un régime à base de gâteau au chocolat

Elizabeth May

Tout d’abord, mettons totalement de côté l’idée que l’administration Trudeau n’est en rien meilleure que celle des Conservateurs sous Stephen Harper. Toute personne un tant soit peu censée est à même de constater que Trudeau et son Cabinet sont de loin supérieurs. Mais cela ne veut pas dire qu’ils peuvent rester les bras croisés. Particulièrement lorsque l’avenir de nos enfants est en jeu.

Le programme 2015 des Libéraux en matière de climat était faible. On ne promettait l’établissement d’aucune cible en matière de lutte contre les changements climatiques.  Les promesses étaient que M. Trudeau participerait aux négociations de la COP21 de Paris (c’est fait), commencerait à travailler avec les provinces à l’élaboration d’un cadre pancanadien dans les 90 jours suivant la Conférence de Paris (c’est fait), cesserait de subventionner les combustibles fossiles (pas encore fait – et a refusé de fournir au Vérificateur général l’information voulue pour faire enquête sur cet engagement), et établirait un prix national du carbone (plus ou moins fait).

Les plus importantes réalisations de l’administration Trudeau en matière de climat ont eu lieu au cours des deux premiers mois de son mandat, après les élections de 2015. Il a fait preuve d’un véritable leadership à Paris. La ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Catherine McKenna, a été la première représentante d’un pays industrialisé à demander que le traité renferme la cible à long terme de maintenir la hausse de la température mondiale moyenne à un maximum de 1,5 degré Celsius au-dessus de ce qu’elle était avant la Révolution industrielle. Et le leadership du Canada a fait une différence. Dans l’Accord de Paris, on a demandé à tous les pays de la planète de travailler ensemble pour éviter que la hausse de la température mondiale moyenne ne dépasse 1,5 degré Celsius, ou à tout le moins de la maintenir sous les 2 degrés Celsius.

La plupart des observateurs les plus vigilants, et notamment les héros du climat, Jim Hansen, de la NASA, et Bill McKibben, de 350.org, avaient prédit que la cible de la COP21 serait de maintenir la hausse sous les 2 degrés. Et ils savaient que cela signifierait un échec : 1,5 degré empêcherait tous les états insulaires de faible élévation d’être submergés; 1,5 degré signifie que les pays d’Afrique pourront s’en sortir et que le pôle Nord pourra peut-être demeurer couvert de glace toute l’année; « 1,5 degré pour rester en vie! », comme l’ont chanté les délégués du continent africain en quittant la table des honteuses négociations de Copenhague. Ce demi-degré de réchauffement de la température mondiale moyenne est la différence entre la vie et la mort pour des millions de personnes. Et avec un réchauffement de 2 degrés, nous courons le très désagréable risque de perdre l’inlandsis du Groenland et l’inlandsis de l’Antarctique occidental. Si l’un des deux s’effondre, il s’ensuivra une hausse de huit mètres du niveau de la mer. Lisez bien cette phrase à nouveau, parce que je veux être certaine que vous avez bien saisi : une hausse de huit mètres du niveau de la mer. Et si les deux s’effondrent, le niveau de la mer augmentera de 16 mètres.

La cible à long terme de l’Accord de Paris est donc importante. Très importante.

À Paris, Catherine McKenna a qualifié la cible du gouvernement Harper en matière d’atténuation des changements climatiques de « cible minimale ». La nouvelle administration ferait mieux … mais on était en 2015.

Au cours de 2016, la situation s’est dégradée. La cible du gouvernement Harper est devenue la cible du gouvernement Trudeau. Il ne s’agit pas de la « cible de Paris ». En fait, les mesures du gouvernement Trudeau sont incompatibles avec l’atteinte de la cible établie au cours de la COP21. Il était très important de vouloir tarifier le carbone … mais à elle seule, cette mesure ne pouvait même pas permettre d’atteindre la faible cible du gouvernement Harper. Mais c’était une promesse politique, et des compromis politiques étaient donc nécessaires. Rachel a besoin d’un pipeline. Christy a besoin de GNL. Nous avons besoin que Christy aille de l’avant avec Kinder Morgan, si bien que nous devons autoriser des projets qui accroissent les émissions de gaz à effet de serre, tels les gigantesques projets de gaz naturel liquéfié de Woodfibre et Petronas, ainsi que l’inutile et ruineux projet de construction d’un barrage sur la rivière de la Paix – appelé projet du site C – pour que Rachel puisse avoir son pipeline. Pour pouvoir fixer un prix national du carbone.

Je demeure convaincue que les Libéraux sont bien intentionnés, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’ils posent les bonnes actions. On dit que la première chose à faire pour se sortir d’un trou, c’est de cesser de creuser.

L’approbation de projets qui contribuent à accroître les émissions de GES est le compromis politique à faire pour parvenir à établir un prix du carbone. Et nous connaissons maintenant les détails du filet de sécurité fédéral pour la tarification du carbone, qui s’appliquera à toute province qui n’aura pas établi son propre mécanisme de tarification en 2018. Alors que dans le cas de l’énergie consommée par les particuliers – pour faire le plein et chauffer les maisons – on imposera le faible prix de 10 $ la tonne dès 2018, les plus grands pollueurs du pays seront à l’abri jusqu’en 2019. Et par la suite, ce ne sera pas un prix à la tonne.  Les plus grands pollueurs – les 563 installations qui produisent 37 % des émissions de GES du Canada – paieront en fonction de l’intensité énergétique. Selon cette notion – inventée par le président George Bush père – la cible est établie par unité de production, si bien qu’au fur et à mesure que la production augmente, même si la quantité de carbone par unité diminue, les émissions de GES peuvent augmenter, et nous pouvons nous réjouir de la tarification du carbone.

Chaque fois que j’entends Jim Carr, Catherine McKenna ou Justin Trudeau dire qu’« environnement et économie sont intimement liés », je me dis que cette affirmation est vraie. Cela veut dire que nous pouvons investir dans les technologies propres, l’énergie renouvelable et l’efficacité énergétique tout en stimulant l’économie et en réduisant les émissions de GES.

Mais cette affirmation n’est plus valable dans le cas du programme climatique des Libéraux. À ce compte-là, vous pourriez tout aussi bien dire qu’il n’y a rien de contradictoire entre vouloir maigrir et manger du gâteau au chocolat. Mais c’est contradictoire. Ces deux idées s’opposent.

Ceux qui attaquent les Libéraux sous prétexte que leurs mesures de lutte contre les changements climatiques vont trop loin – Brad Wall, et le parti Wildrose et ses conservateurs « convaincus » de l’Alberta – vont de pair avec ceux qui sont prêts à se réjouir de mesures mitigées, comme si nous avions tout le temps du monde devant nous.

Nous commençons à être à court de temps. L’heure de vérité approche. Et tenons-nous-le pour dit, les régimes aux gâteaux au chocolat ne fonctionnent pas.