Dans l’attente de la visite du président des États-Unis, les bonnes raisons sont nombreuses pour les gens informés au sujet de la crise climatique à porter leur attention presque exclusivement sur ce que pourrait dire le président Obama au sujet des sables bitumineux. Mais les enjeux plus vastes, comme ceux que j'ai soulignés dans ma lettre ouverte au président, nécessitent des progrès à l’échelle internationale dès décembre prochain dans le cadre de la 15e Conférence des Parties de Copenhague afin d’élaborer un accord significatif pour l'après-Kyoto de 2012. Dans ce contexte, faire des progrès à l’échelle du globe requiert l'éloignement du Canada de la position obstructionniste de Harper.
Certains semblent déçus que le président n’ait pas réagi vivement en ce qui a trait à la situation actuelle, mais je ne m'attendais pas non plus à ce que Barack Obama se présente au Canada avec l’intention de s’en prendre publiquement aux actions du gouvernement canadien. S’il désire sérieusement faire avancer le programme en vue de la conférence de Copenhague, il doit rallier le Canada à sa cause. D’un autre côté, j’aurais été horrifiée si le président s’était distancié des propos qu’il avait tenus précédemment, à savoir que le pétrole extrait des sables bitumineux était du pétrole « sale ».
Un signe assez révélateur que des choses beaucoup plus intéressantes ont été dites derrière les portes closes est le fait que Carol Browner, ancienne chef de l’EPA et personne de confiance d’Obama pour remplir le rôle de « responsable de la crise climatique » dans son administration, était présente. Il y a peu de détails connus actuellement au sujet du Dialogue sur l'énergie propre, mais ce dernier ne peut avoir du sens que s'il est à propos de la seule source d'énergie vraiment propre, c'est-à-dire, l'énergie renouvelable, et s’il englobe l’élaboration d’une approche menant à des négociations internationales.
Bien que la plupart des reporteurs semblent penser que les deux hommes ont dit la même chose, il est possible de trouver des différences, si l’on analyse la conférence de presse de Harper et d’Obama.
À propos du Dialogue sur l'énergie propre, Harper a parlé de capture et de stockage de carbone. À cet égard, Obama a fait un signe de la tête en guise d’approbation, en admettant que le paysage énergétique des États-Unis possédait également son « monstre producteur de carbone », c’est-à-dire, l’industrie du charbon. En ce qui a trait à la capture et au stockage du carbone, Obama a affirmé « qu’il n’y [avait] pas de solution miracle ». Exactement. Harper a longtemps répété qu’il n’y avait rien à faire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre avant que cette solution consistant à enfouir du carbone sous terre au moyen d'un système de tuyaux s'avère être parfaite. Mais comme il a été dit plutôt, « il n’y a pas de solution miracle ». La seule solution pour régler la crise climatique est d'agir rapidement sur une centaine de fronts à la fois. Il s’agit en fait de procéder comme dans le cas du programme étatsunien pour stimuler l'économie, qui consiste à engager des fonds dans les énergies éolienne et solaire et à investir dans l’amélioration massive de l'efficacité énergétique.
Pendant ce temps, Obama parlait de l’élargissement d’un réseau de distribution d’électricité plus efficace, dans lequel il y aurait plus de sources d'énergie solaire et éolienne. Il a déclaré que nous avions besoin de « milliards de dollars pour servir de tremplin aux énergies renouvelables ». (Harper écoutait-il? Il vient tout juste de couper le financement aux énergies éoliennes. Il a préféré plutôt investir des centaines de millions de dollars dans la capture et le stockage de carbone et dans l’énergie nucléaire. En comparaison, il n'y a aucuns fonds destinés au charbon propre ou au nucléaire dans le programme américain de relance de l’économie.) J’ai travaillé en tant que représentante canadienne au sein d’une commission qui avait pour mission d'examiner de quelle façon une restructuration du réseau de distribution d’électricité nord-américain pourrait accroître les approvisionnements en énergie renouvelable. Cette initiative était organisée par la Commission nord-américaine de coopération environnementale, et l’un des représentants étatsuniens était M. John Holdren, qui est maintenant le conseiller scientifique d’Obama. Ce rapport a ensuite été présenté en compagnie de trois responsables d’organismes environnementaux du Canada, des États-Unis et du Mexique. Aux États-Unis, la responsable était Carol Browner. Le Dialogue sur l'énergie propre comprendra effectivement une discussion sur la capture et le stockage du carbone, mais il s’agira d’un programme beaucoup plus large, ce qui permettra peut-être d’amener Harper à examiner les sources d’énergie renouvelable de plus près… peut-être.
Au sujet de la menace que représente la crise climatique, Obama a affirmé ceci : « Les changements climatiques menacent mes enfants ainsi que ceux du premier ministre Harper. » Pour ma part, je n’ai jamais entendu Stephen Harper personnaliser la menace de la crise climatique de la sorte. Je suis certaine à 100 % qu’il ne croit pas que cette menace en soit une de toute façon. Pendant ce temps, Harper dit : « Les changements climatiques représenteront un défi important pour la prochaine décennie ». Décennie? C’est plutôt pour le prochain siècle. Mais, encore une fois, il s’agit là d’une preuve que Harper ne commence même pas à comprendre l’ampleur du problème.
Je me suis demandé pourquoi les gens ne se sont pas esclaffés lorsque Harper a dit ceci : « Nos cibles sont à quelques détails prêts les mêmes ». D’accord, les cibles à court terme à atteindre d’ici 2020 sont sensiblement les mêmes, mais celles pour 2050 ne sont pas comparables du tout. Le Canada (sous le gouvernement Harper) suggère 50 % de réduction d’ici 2050 par rapport aux cibles de 2006. Obama (et la plupart des pays du monde) suggère quant à lui 80 % de réduction sous les niveaux de 1990 d’ici 2050. L’utilisation par le Canada des données de 2006, où les émissions étaient 24 % plus élevées qu’en 1990, rend nos cibles frauduleuses, mais par-dessus tout, l'objectif du 50 % de réduction nous mènerait au chaos climatique.
Mais la véritable gaffe de Harper, qu’il a répétée deux fois plutôt qu'une, a été de défendre l'utilisation par le Canada de l'invention de Bush, c’est-à-dire, les « cibles fondées sur l'intensité ». Le Canada n'a aucune cible basée sur des réductions réellement quantifiables. Notre plan (qui n’existe toujours pas en réalité) est fondé sur des réductions par unité de production. Au fur et à mesure que la production augmente, les réductions par unité de production deviennent non pertinentes. Ainsi, les émissions continuent de grimper, et ce, même si les cibles de réduction sont atteintes. Harper a affirmé que les cibles fondées sur l’intensité et les limites strictes ne sont que « deux moyens servant à mesurer la même chose ». Effectivement. Un paiement effectué avec de la monnaie contrefaite et un autre fait avec de la monnaie qui a cours légal représentent deux façons d’acheter la même chose. Les cibles fondées sur l’intensité sont carrément frauduleuses, et le Canada exerce de la pression dans les négociations internationales pour qu’on les utilise dans le prochain traité post-Kyoto. Nous ne nous contentons pas de commettre une fraude à l’intérieur de nos frontières. Nous voulons aussi saboter l’accord international.
Seul le président Barack Obama a mentionné l’importance des négociations de Copenhague qui se tiendront prochainement. Il a évoqué Copenhague dans le contexte du besoin que nous avons de faire des progrès suffisants en Amérique du Nord afin que nous soyons prêts pour la 15e Conférence des Parties. Les médias n'ont posé aucune question au sujet de ces négociations. D'ailleurs, Harper n'en parle jamais. Amener le monde entier à Copenhague à réduire leurs émissions de façon immédiate et quantifiable est essentiel. En fait, il s'agit de notre dernière chance afin d’éviter que l’accélération du désastre du réchauffement de la planète ne dégénère, phénomène qui laisserait d’ailleurs peu de chance de survie à la civilisation humaine.
Ces critiques sont du même genre que celles que le Canada détruit et sabote. Nous devons porter notre attention sur la conférence de Copenhague qui approche à grands pas : rehausser son profil, augmenter la sensibilisation à son égard et même pousser cet affreux gouvernement à prendre les bonnes mesures. Et qui sait? Peut-être que le fait de dire qu’il s’agit de « deux moyens servant à mesurer la même chose » est un premier pas dans un léger changement de direction qui mènerait finalement à adopter des limites strictes sans annoncer publiquement une rétractation. Peu importe ce que cela prend, la conférence de Copenhague doit être un succès. Il s'agit là d’un élément beaucoup plus important que tous les points qui peuvent être marqués contre le gouvernement Harper en raison de sa politique intensément dangereuse en matière de crise climatique.
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Ce qui a été dit de part et d’autre
Elizabeth May
24 février 2009