Je savais que je ne serais plus jamais invitée à l’émission de Mike Duffy…

Elizabeth May

Juste au cas où vous l’auriez manqué, j’ai décidé pendant la campagne électorale que je ne pouvais plus considérer les insultes et la partisanerie de Mike Duffy comme du journalisme. Par les années passées, j'ai souvent participé à l'émission de ce journaliste bien connu. Habituellement, nous nous entendons bien. Lui et sa femme ont toujours été très gentils à mon égard. D’ailleurs, ils m'ont déjà aidé dans un aéroport lorsque j'utilisais encore une canne et que j'avais beaucoup de difficultés à me déplacer avant ma chirurgie à la hanche. Alors, cela n’avait rien de personnel… avant la campagne de 2008.

Je ne pouvais tout simplement pas croire la présentation scandaleuse qu’il avait faite avant une entrevue avec Peter MacKay. J’attendais pour être interviewée à mon tour après M. MacKay. Nous venions alors tout juste de terminer un débat à l’Université St. Francis Xavier située à Antigonish, et le camion satellite de CTV arrivait d'Halifax pour permettre de faire une entrevue avec Mike Duffy en Ontario. La logistique de ce type d’entrevue, qu’on appelle « doublex », est un peu surréaliste. En effet, la personne interrogée ne voit pas son intervieweur. Il faut seulement essayer de regarder bien droit en direction de l’objectif de la caméra et espérer que l’écouteur demeure en place pour bien entendre les questions. Ainsi, on m’avait auparavant fourni un microphone-boutonnière et un écouteur pour être en mesure d’entendre les questions de M. Duffy. Pendant que j’attendais mon tour, j’ai été avec horreur le témoin auditif de la présentation la plus partiale que j’ai entendue de toute ma vie. Lorsqu'il a présenté Peter MacKay, M. Duffy s’est mis à attaquer la performance que j’avais donnée lors du débat. Cette situation était plus qu’étrange, étant donné que je venais de gagner l'affrontement devant près de 800 personnes. Il a tenu les propos suivants : « Peter, disons que vous avez été égal à vous-même et que Mme May [avec un ton hautement sarcastique] en a fait de même de son côté ». Bien qu'il ait dit ne pas vouloir utiliser le mot « loufoque » pour décrire les déclarations que j’avais faites lors du débat, ce qui, bien sûr, il venait de faire, il a continué en les qualifiant de « bizarres. »

J’ai alors décidé que je n’allais pas le laisser s’en tirer comme ça. Son penchant pour les idées de Harper était couramment démontré dans le cadre de son émission, mais là, c’était trop. Le moment de télévision qui s’est ensuivi est assez amusant lorsqu’on le regarde avec du recul. D’ailleurs, il est encore possible de le visionner sur YouTube en cherchant la vidéo « Elizabeth May versus Duffy. » Ce soir-là, nous avons essayé de voir l’entrevue sur le site Web de CTV, mais elle n’a jamais été ajoutée. Nous l’avons finalement trouvée sur le site Macleans.ca, et avons entendu dire plus tard qu’elle avait été mise sur YouTube.

Le rôle que Mike Duffy a joué dans la présentation des prises rejetées de l'entrevue que Stéphane Dion avait accordée à Steve Murphy d’ATV a été encore plus outrageusement important. D’offrir la latitude de demander de reposer une question et la chance d’avoir une entrevue enregistrée est généralement plutôt généreux. Étant donné que l'intervieweur a dit à M. Dion qu'il pouvait demander une clarification et qu'ensuite l'intervieweur ait reposé la question, il aurait été scandaleux que CTV choisisse de ne pas respecter le lien de confiance qui l’unissait au politicien et que la chaîne de télévision décide de présenter l'enregistrement. Pourtant, c’est ce qu’elle a fait. Encore et encore durant la dernière fin de semaine de la campagne.

Les sondages tendent à indiquer que l’utilisation de cet enregistrement et l’énorme battage médiatique effectué par Mike Duffy autour de cette histoire pourraient avoir coûté 15 sièges aux Libéraux. Ce n’est pas vraiment ce qu’on pourrait appeler ici du journalisme. À la fin de la campagne, je me suis mise à penser que la couverture de Stephen Harper par Mike Duffy était l’équivalent canadien de celle de l’administration Bush par Fox News.

Et maintenant, sans aucune honte apparente, Stephen Harper a récompensé Mike Duffy. En effet, ce dernier est l’un des 18 Conservateurs à avoir été nommé au Sénat au cours d'une période où les travaux du Parlement étaient suspendus. La fermeture du Parlement afin d’éviter de perdre un vote de confiance est le type de mesure antidémocratique que les journalistes devraient dénoncer. Malheureusement, en raison de la concentration des médias dans les mains d'un nombre restreint de propriétaires (CTV, le Globe and Mail et les stations de radio CFRA, CFRB, CKNW, etc. sont tous la propriété du même conglomérat, alors que Global TV, ainsi que les journaux National Post, Ottawa Citizen, Edmonton Journal, Montreal Gazette, Vancouver Sun, Vancouver Province, Victoria Times Colonist, Saskatoon Star-Phoenix, etc. appartiennent tous à Canwest), la plupart des médias d’information mettent la ligne du gouvernement Harper à l’avant-plan. D'ailleurs, la couverture médiatique dernièrement a été concentrée davantage sur les faiblesses de la coalition que sur la démonstration de la nature antidémocratique des actions de Harper.

Après mon affrontement avec Mike Duffy, en direct et en ondes, je me suis sentie heureuse de m’être opposée à sa partialité. Je suis contente également de l’avoir fait poliment, en exprimant aussi mon respect envers M. Duffy. Cependant, j’ai dit à ma fille un peu plus tard : « Eh bien, je crois qu'on ne m'invitera plus jamais à l'émission de Mike Duffy. »

Finalement, ma prédiction s’est concrétisée.