« Spill! Baby, Spill »

Elizabeth May

Dans mon dernier billet de blogue, j’ai cru, à tort, avoir songé à la possibilité que Sarah Palin puisse être tiraillée par la culpabilité. En fait, j’avais plutôt écrit ce billet pour un journal local génial, Island Tides.

À présent que l’article du Island Tides a été publié, j’ai cru bon le partager avec vous. Et j’ajouterai même une excellente nouvelle : à compter d’aujourd’hui, le moratoire sur l’exploration et l’exploitation pétrolière et gazière dans les zones protégées du banc George, dans l’Arctique, a été prolongé pour cinq ans. Voilà une nouvelle qu’il convient de célébrer! Nous devons prolonger toutes ces interdictions!

Vous souvenez-vous de la convention républicaine de 2008? Des délégués extatiques ont scandé « Drill! Baby, Drill! » sous la direction de l’euphorique Sarah Palin. Cette femme de l’Alaska souhaite détruire les terrains de mise bas des troupeaux de caribou de Porcupine de la plaine côtière située dans la réserve faunique nationale de l’Arctique. Les républicains ont demandé l’ouverture des zones côtières du littoral est et de la Californie. Leurs pressions constantes ont poussé le président américain Barack Obama à céder; il a ouvert certaines de ces zones en haute mer dans l’espoir d’obtenir un accord au Congrès visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Pendant que du pétrole continue de s’écouler à 5 000 pieds sous le golfe du Mexique, est-ce que ces téméraires ont la décence de dire qu'ils ont honte? Ne retenez pas votre souffle.

Les partisans du forage ne sont pas tous des républicains. Ici chez nous, les entreprises de forage travaillent avec acharnement pour obtenir des dérogations et des permis pour forer dans les zones de pêche protégées du banc Georges, de la côte de la Colombie-Britannique et dans la mer de Beaufort, qui est de plus en plus dégagée. Les foreurs font l’oreille sourde à l’ironie de la fonte de la glace de l’Arctique, provoquée notamment par la consommation des combustibles fossiles, et au fait que cette fonte est un signe du danger qui pèse sur nous. Le discours du Trône et le budget du gouvernement Harper pour l’année 2010 décrivaient la richesse et la prospérité que le Canada tirerait de ses ressources en pétrole et en gaz naturel. L’ouverture du fragile environnement arctique à l’exploitation pétrolière et gazière ainsi que l’exploitation des possibilités d’exportation des sables bitumineux vers l’Asie à l’aide de pipelines qui passeraient par la Colombie-Britannique et de navires pétroliers qui navigueraient dans les eaux côtières de la province font partie de la vision de « superpuissance dans le domaine de l’énergie » du Canada. Pour commencer ces projets, on attendait simplement les nouvelles mesures du gouvernement visant à supprimer les obstacles au développement, la « modernisation du système de réglementation ». Le gouvernement a soustrait les projets énergétiques de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale. 

Et puis survient le désastre de BP dans le golfe du Mexique. Encore aujourd’hui, les partisans du pétrole cherchent à trouver un côté positif. Seul le National Post pouvait trouver ce grand titre : « Gulf’s pain oil sands’ gain, agree experts » (Désastre dans le golfe, un avantage pour les sables bitumineux selon les spécialistes, 5 mai 2010).

Qu’avons-nous appris du désastre du golfe du Mexique? De toute façon, il est trop tôt pour se prononcer. Au moment où j’écris ces lignes, le 5 mai, la situation est instable. Pour l’instant, la température s’est améliorée. Les pêcheurs de la région travaillent de façon héroïque pour protéger leur gagne-pain; ils installent des barrages flottants et des toiles tout en étant incertains de leur bon fonctionnement. On ignore si les efforts pour freiner l'écoulement du pétrole porteront fruit; et cela pourrait prendre trois mois à le faire cesser. Le 5 mai, le président de BP a admis au New York Times que la quantité de pétrole qui s’échappait du puits n’était pas 5 000 barils, mais plutôt dix fois plus. 

Le triste sort d’une société pétrolière qui a brièvement tenté de se diversifier et de devenir une société d’énergie constitue une triste leçon. L’ancien président-directeur général de BP, Lord John Brown, était sincère lorsqu’il a déclaré vouloir aller « au-delà du pétrole ». Malheureusement, son conseil d’administration l’a évincé. Son successeur, Tony Hayward, savait ce qu’il devait faire pour rester en poste. BP a délaissé son image verte et vit maintenant avec une réputation en lambeaux. 

Nous pouvons encore tirer quelques leçons. Il est impossible de parfaire la technologie. L’exploitation pétrolière en haute mer pose des risques énormes. Le gouverneur Schwarzenegger a annulé les projets d’ouverture des côtes de la Californie à l’exploitation pétrolière et a déclaré « les revenus ne valent tout simplement pas les risques ». 

BP, comme d’autres géants du domaine pétrolier, a affirmé qu'il n'était pas nécessaire de planifier en prévision des défaillances catastrophiques. Le 9 avril 2009, BP avait demandé une dérogation à la National Environmental Policy Act pour le puits Deepwater Horizon, celui qui déverse son pétrole dans le golfe du Mexique. Le Minerals Management Service a offert à l’entreprise une « exclusion catégorique ». Onze jours avant le désastre du Deepwater Horizon, BP cherchait à obtenir davantage de dérogations. 

Au lieu de créer des scénarios de la pire éventualité, les industries américaines et du reste du monde ont évalué les risques d’explosion en haute mer comme trop improbables pour qu’ils méritent l'imposition de mesures préventives et conclu que les puits en haute mer étaient trop éloignés pour constituer une menace pour les côtes (comme si les conséquences des déversements de pétrole en eaux libres à l’extérieur des limites territoriales ne valaient pas la peine d'en parler). Nous avons maintenant la preuve que ces suppositions sont fausses. Mais ça, nous le savions déjà. 

Il y a eu des explosions dans des puits en haute mer de la Nouvelle-Écosse. Il a fallu neuf jours pour parvenir à contrôler l’un d’eux, le Uniake G-72. Le désastre de 1969 de Santa Barbara en Californie a été causé par l'explosion d’un puits de la Union Oil situé à une profondeur de 190 pieds seulement. Le déversement avait duré 100 jours. Puis il y a les déversements routiniers. Selon des estimations, 75 % des déversements de pétrole qui se sont produits le long des côtes américaines provenaient des installations de forage du golfe du Mexique, et ce n’étaient pas des accidents. Et il reste encore le trafic des pétroliers : les déversements du Arrow de 1970 en Nouvelle-Écosse (9 000 tonnes), du Valdez de Exxon en 1989 (38 800 tonnes), du Sea Empress du Royaume-Uni en 1996 (72 000) et j'en passe.

Cette litanie d’océans et de côtes ravagées comporte deux caractéristiques : l’orgueil et la mémoire courte. On nous dit toujours que la technologie est « à l'avant-garde ». Que les gouvernements adoptent de nouveaux règlements et les améliorent. Le passé, c’est le passé. Et nous oublions. 

« Je suis d’avis que la promotion agressive laisse place à la complaisance et que la complaisance mène au désastre », a déclaré le représentant Edward J. Markey (District du Massachusetts). « À mon avis, voilà ce qui s’est passé. »

Pendant les derniers jours, le gouvernement conservateur, par le biais du premier ministre et du ministre de l’Environnement, a pratiqué sa propre promotion agressive en proclamant que le Canada avait la meilleure réputation du monde. C'est absurde. La réglementation récemment révisée appartient à une nouvelle catégorie. Ce n’est plus de la « réglementation prescriptive », mais plutôt une « approche axée sur les buts ». La différence réside dans le fait que les entreprises seront désormais en mesure de proposer ce qu’elles veulent faire pour atteindre leur objectif, par exemple, la protection environnementale, sans se voir imposer la technologie nécessaire par la voie de la réglementation. Comme l’explique la Gazette du Canada en ce qui concerne le règlement sur le forage et la production de pétrole et de gaz : « La mise à jour des règlements améliore le cadre de réglementation actuel afin d’appuyer la croissance continue de l’industrie du pétrole et du gaz dans les régions pionnières et extracôtières et sa contribution à l’économie et à la compétitivité du Canada tout en maintenant les normes les plus rigoureuses en matière de sécurité, de protection de l’environnement et de gestion des ressources. »

L’objectif de ces modifications au règlement consistait à stimuler le développement et à éliminer des règlements, tout comme le but de la dérogation des projets énergétiques à la Loi sur l’évaluation environnementale était d’accélérer l’approbation de ces derniers. 

De tout cela découle une leçon indéniable. Nous devons nous assurer qu’il n’y aura pas de forage dans l’environnement précaire et éloigné de l’Actique canadien. Ni de forage le long de la côte de la Colombie-Britannique. Ni de trafic pétrolier le long de notre côte. Les bénéfices à court terme de cette exploitation reviennent à des gens qui ne vivent pas ici. Un accident dévasterait notre industrie des pêches, notre tourisme, notre mode de vie et la toile complexe de notre environnement.