Fraude électorale : une série de crimes non résolus?

Elizabeth May

Plusieurs allégations ont été avancées récemment selon lesquelles des irrégularités électorales et certains actes carrément criminels auraient été commis au cours des élections de 2011. Cependant, nous ignorons toujours qui sont les responsables.

Nous pourrions avoir affaire à un délinquant en série, ou à plusieurs délinquants. Quand on songe aux fourberies électorales des six dernières années, il ressort clairement que le Canada maîtrise mal la notion d’aller au fond des choses et de « faire toute la lumière » sur certains crimes graves.

Voici une liste d’actes criminels qui me hantent encore. Ils sont non résolus.

  1. L’ingérence de la GRC dans les élections de 2006. On se souviendra que Zaccardelli avait publié un communiqué de presse pour annoncer qu’une enquête avait été déclenchée suite aux allégations du NPD selon lesquelles les libéraux auraient coulé des informations à la presse sur l’éventuelle taxation des fiducies de revenu. Bien que non fondées, ces allégations ont de toute évidence influencé le résultat des élections. Publier un communiqué de presse pendant une campagne électorale va à l’encontre de la pratique habituelle de la GRC. Nommer un ministre des Finances dans un communiqué de la GRC ne s'était jamais vu. La Commission des plaintes du public contre la GRC, sous la direction de Paul Kennedy, a tenté de questionner l’ancien commissaire de la GRC, Giuliano Zaccardelli, mais en vain – Zaccardelli refusait de témoigner et Kennedy ne disposait pas des pouvoirs d’assignation de témoins. Personne ne sait s’il a été question d’ingérence politique, d’incitation ou de pot-de-vin. Zaccardelli occupe aujourd’hui un poste de haut fonctionnaire auprès d’Interpol à Lyon, France.

  2. Jusqu’où les conservateurs sont-ils allés pour tenter de faire tomber le gouvernement Martin au printemps 2005? Seraient-ils allés jusqu’à offrir une police d’assurance d’un million de dollars à Chuck Cadman? De telles allégations ont certainement circulé, mais une barricade s’est levée. Qu’est-il advenu de l’enquête? Si c’est réellement arrivé, c’était illégal.

  3. La campagne conservatrice dans la circonscription nouvelle-écossaise de Cumberland—Colchester—Musquodoboit Valley en 2008. Un député courageux du nom de Bill Casey a été expulsé du caucus conservateur pour avoir voté contre le budget de 2008, parce qu’il violait un contrat avec la Nouvelle-Écosse, soit « l’Accord atlantique. » Aux élections de 2008, Casey s’est présenté comme indépendant. (Une petite anecdote fort intéeressante : le candidat conservateur Joël Bernard avait démissionné du bureau de Stockwell Day pour lui opposer sa candidature, en dépit du fait que l’association de circonscription conservatrice au grand complet insistait pour dire que Bill Casey était le candidat choisi. 

    Le Parti conservateur a donc limogé la totalité de l’exécutif de l’association locale et nommé un groupuscule secret pour choisir le candidat.) Casey a remporté les élections haut la main. Après les élections, Casey a découvert que Bernard était allé voir la GRC pour dire que Casey avait détourné des fonds de l’association de circonscription locale du Parti conservateur. Ces allégations, qui étaient complètement fausses, ont également révélé que les conservateurs avaient tenté de couler l’affaire aux médias pendant la campagne. Bien entendu, les médias n’y ont accordé aucune attention, puisque la réputation d’intégrité de Bill Casey était trop solide pour que quiconque prenne ces allégations au sérieux. Mais le fait de porter des accusations non fondées et de gaspiller les ressources de la GRC sont possiblement des actes criminels. D’après Wikipédia, Bernard serait aujourd’hui membre du cabinet du ministre de l’Industrie Tony Clement.

  4. En 2008, des appels automatisés bien documentés ont été faits dans la circonscription qui est aujourd’hui la mienne, Saanich—Gulf Islands. J’ai fourni de nombreux détails sur cette affaire dans mes billets de blogue précédents. De toute évidence, ces appels étaient illégaux et constituent un crime. Le message enregistré transmis par ces appels prétendait faussement que l’appel provenait de l’association de circonscription néodémocrate locale. La ligne de télécopieur du président de l’association avait été piratée pour faire croire que les appels avaient été faits à partir de ce numéro. Les appels automatisés incitaient les citoyens à voter pour le candidat du NPD, bien qu’il ait déjà annoncé publiquement son retrait de la course. Les appels automatisés ont possiblement influencé les résultats de l’élection. Pourtant, Élections Canada a laissé tomber l’affaire et décrété qu’aucune loi n’avait été enfreinte.

  5. Larry Smith et Fabian Manning avaient-ils reçu l’assurance que s’ils quittaient le Sénat pour se présenter aux élections en 2011 et n’étaient pas élus, ils pourraient récupérer leur place au Sénat? Les deux sénateurs conservateurs ont brigué les suffrages, l’un à Montréal l’autre à Terre-Neuve. Les deux ont perdu et ont récupéré leur siège au Sénat à peine quelques semaines après les élections du 2 mai 2011. L’organisation Démocratie sous surveillance a réclamé une enquête puisque, si une telle promesse avait été faite, c’était une violation claire du Code criminel.

 

Ajoutez à cela la vague d’appels frauduleux effectués en 2011 pour rediriger les électrices et les électeurs vers de faux bureaux de scrutin et les allégations selon lesquelles les conservateurs détiendraient un compte secret dans une institution bancaire de Vaughn. Ajoutez aussi l’utilisation légale, mais contraire à l’éthique, de techniques de suppression des votes – publicités négatives, période de convocation des élections réduite au minimum juridiquement acceptable, comportement répréhensible aux Communes – et vous avez une recette toxique qui ne peut faire autrement qu'empoisonner la démocratie.

Les Canadiennes et les Canadiens ne doivent pas laisser les allégations de crimes graves en regard de la Loi électorale être balayées sous le tapis encore une fois. Les coupables ont peut-être choisi de gagner coûte que coûte; leur attitude est fondée sur un raisonnement dénué de toute moralité selon lequel tous les moyens sont bons pour gagner et que la seule erreur consiste à se faire prendre.

Il faut savoir. Il faut y mettre un terme.