May réclame un débat d’urgence sur l’accord d’investissement Canada-Chine (lettre)

Le 28 septembre 2012

L’honorable Andrew Scheer, député
Président de la Chambre des communes
Chambre des communes
Ottawa (Ontario)  K1A 0A6

Monsieur le Président,

Je vous écris aujourd’hui à propos d’une affaire déterminée et importante dont l'étude s'impose d'urgence. Conformément à l’article 52(2) du Règlement, je vous prie de considérer la présente lettre comme une notification annonçant mon intention de demander la parole immédiatement après la conclusion des affaires courantes le lundi 1er octobre 2012 pour proposer une motion à l'effet « que la Chambre s'ajourne maintenant » pour la tenue d’un débat d’urgence.

Au cours de la visite du premier ministre en Chine, au mois de février 2012, nous avons appris l’existence de l’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la République populaire de Chine concernant la promotion et la protection réciproque des investissements, un accord lourd de conséquences pour la souveraineté, la sécurité et la démocratie du Canada, signé par le premier ministre le 9 septembre 2012, lors de son passage à Vladivostok pour les réunions de l’APEC, mais caché aux Canadiennes et aux Canadiens ainsi qu’au Parlement jusqu’au 26 septembre dernier.

Cependant, conformément à la Politique sur le dépôt des traités devant le Parlement, l’Accord aurait dû être déposé devant la Chambre des communes pendant au moins vingt et un jours de séance avant sa ratification, période à l’issue de laquelle le Conseil privé aurait pu, sans autre commentaire ou examen du grand public ou du Parlement, d’un simple coup de crayon, lier le Canada à la Chine par le truchement du traité commercial sans doute le plus exhaustif jamais conclu depuis l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) en 1994. La négociation suivie de la ratification à huis clos d’un accord commercial aussi majeur est profondément corrosive pour la démocratie canadienne. Bien qu’un débat d’urgence s'avère nettement insuffisant dans les circonstances, il pourrait fournir la seule occasion aux parlementaires d’examiner l’Accord et d’en débattre avant qu’il n'engage notre pays pour les quinze prochaines années.

L’affirmation d’un porte-parole du ministre du Commerce, Ed Fast, selon laquelle les représentants de l’Opposition qui souhaitent débattre de l’Accord peuvent le faire à l’occasion d’une journée d’opposition indique clairement qu’aucun examen parlementaire de l’Accord n’est prévu et marque un mépris profond et délibéré du rôle du Parlement. En outre, une telle affirmation fait entièrement abstraction de la réalité que seuls le Nouveau Parti démocratique et le Parti libéral peuvent se prévaloir des jours désignés et, par conséquent, je n’ai d’autre choix que de demander un débat d’urgence pour m’assurer que cet accord fasse effectivement l’objet d’un débat à la Chambre des communes.

Monsieur le président, sachant que vous lirez attentivement et tiendrez compte de cette importante requête, je souhaite vous donner un bref aperçu des enjeux et de la portée de votre décision concernant ce débat.

Parmi les éléments les plus problématiques de cet accord, j’aimerais attirer votre attention sur l’article 3, « Promotion et admission des investissements » et ses conséquences sur les décisions prises conformément à la Loi sur Investissement Canada. L’article 3 stipule que chaque partie contractante doit favoriser sur son territoire les investissements réalisés par l’autre partie et admettre ces investissements conformément à sa législation. Or cette obligation apparemment anodine nous oblige à faire preuve de partialité quant à l’approbation d’investissements qui pourraient menacer notre sécurité nationale ou desquels le Canada retirerait un avantage très marginal voire un avantage net négatif, puisque le droit canadien ne prévoit aucun critère ou processus précis permettant d’établir et d’encadrer le concept d’avantage net et de sécurité nationale.

Cet aspect est particulièrement pertinent et urgent compte tenu de la prise de contrôle imminente de Nexen par la Chinese National Offshore Oil Company (CNOOC) et du nouvel afflux d’investissements de sociétés d’État chinoises que cela engendrera à coup sûr. La ratification de cet accord signifie que toute tentative d’acquisition d’une société canadienne par des intérêts chinois devra inévitablement être perçue favorablement, et ce, malgré l’opposition d’une vaste majorité de Canadiennes et de Canadiens. Les parlementaires doivent pouvoir délibérer sur ces conséquences.

Dans le même ordre d’idées, et en raison des défis uniques posés par la gestion des sociétés d’État chinoises et les investissements colossaux de ces sociétés au Canada, il est primordial de nous arrêter un moment pour évaluer le bien-fondé de donner à ces sociétés d’État chinoise l’accès prioritaire à une série de mécanismes d’arbitrage investisseur-État et de règlement des différends. Même lorsqu’ils servent exclusivement à l’usage des sociétés commerciales, ces mécanismes ont un effet dévastateur et paralysant sur la démocratie canadienne, une réalité maintes fois constatée avec les dispositions du chapitre 11 de l’ALENA et la possibilité pour les sociétés étatsuniennes d’invalider des lois canadiennes.

Pourtant, malgré une cohabitation pour le moins troublante avec le chapitre 11 de l’ALENA, il serait exponentiellement plus dommageable d’accorder aux sociétés d’État chinoises le même accès privilégié aux mécanismes d’arbitrage investisseur-État. Si un doute subsistait quant aux intérêts desservis par ces sociétés, il a été pulvérisé au mois de mai lorsque le PDG de CNOOC s’est exclamé : « Les immenses plates-formes d'exploration et de forage en eau profonde constituent pour nous un immense territoire national mobile et une arme stratégique. » Bien que cet aveu n’ait rien de surprenant, il faut en tenir compte, car il ajoute du poids à la présente requête; sans compter qu’il reste à peine quelques jours avant que le Canada donne à une entité non tenue de rendre des comptes et potentiellement hostile la capacité d’invalider nos lois et nos décisions prises par des parlementaires canadiens démocratiquement élus. Quiconque s’imagine que les conséquences d’un tel pouvoir sont négligeables devrait examiner le recours récent de la Chine en Europe, où elle profitait de ce même mécanisme d’arbitrage pour réclamer près de 3 milliards d’euros à la Belgique.

À titre d’exemple, si les Canadiennes et les Canadiens décidaient un jour que nos réserves de combustibles fossiles devaient être conservées à des fins nationales, pour quelque motif que ce soit, l’article 33(2)c) de l’Accord obligerait l’État canadien à limiter l’accès national à ces réserves dans une mesure qui correspond aux limites imposées aux exportations vers la Chine. En outre, les dispositions sur le traitement national empêcheraient les administrations fédérales, provinciales et municipales de fixer des conditions favorables pour les travailleurs ou les intrants canadiens pour les projets en sol canadien.

Monsieur le Président, compte tenu de l’urgence et de la gravité des enjeux ainsi que du caractère essentiellement opaque et antidémocratique des moyens prévus pour sa réalisation, les parlementaires canadiens doivent avoir l’occasion de discuter de cet accord avant qu’il ne soit trop tard. Sauf votre respect, jamais une affaire n’aura soulevé autant de questions pour justifier la tenue d’un débat d’urgence devant la Chambre des communes. Par conséquent, je demande humblement la tenue d’un débat d’urgence.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma très haute considération.

 

Elizabeth May O.C.
Députée de Saanich-Gulf Islands
Chef du Parti vert du Canada